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Du cacao zéro déforestation, oui mais qui va payer ?

Publié le 20 novembre 2023 - Dernière mise à jour le 12 décembre 2023
cacao zéró déforestation

L'importation en Europe de cacao issu de la déforestation sera impossible à partir de la fin 2024 avec le nouveau Règlement européen sur la déforestation importée (RDUE), récemment approuvé par le parlement européen. 

Le 31 octobre dernier, Ethiquable et AVSF - Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières ont donné la parole aux organisations de petits producteurs et productrices de cacao d’Haïti, de Madagascar, du Togo, de Côte d'Ivoire, du Ghana et du Guatemala, dans le cadre d'une conférence en marge du Salon du Chocolat.

Bien que directement impactés par la nouvelle règle de l'UE, rare sont les espaces où les producteurs peuvent témoigner des préoccupations qui sont les leurs, mais aussi des initiatives déjà prises et parfois depuis bien longtemps pour produire un cacao réellement durable qui protège les sols et les forêts.
 

déforestation importée décrystage par Ethiquable

Sources : WWF Rapport 2021 Quand les Européens consomment, les forêts se consumentPROJET TRASE Les exportations de cacao sont un moteur de déforestation en Côte d'IvoireFAO Évaluation des ressources forestières mondiales 2020 + Situation des forêts en 2022 • Parlement Européen Les causes de la déforestation et le rôle de l'UELa fiche d'information RDUE de l'Institut européen de la forêt

 

Le cacao moteur de la déforestation importée

La culture du cacao est une des 7 filières contribuant le plus à la déforestation importée en Europe, sachant que l'huile de palme et le soja représentent à eux seuls 50%.

Le cacao importé en Europe provient majoritairement - envidon 60% - de Côte d'Ivoire et du Ghana. Au cours des 60 dernières années, selon MightyEarth, ces deux pays ont perdu respectivement environ 94 % et 80 % de leurs forêts, dont au moins 1/3 pour satisfaire l'expansion de la production de cacao, faisant de la Côte d’Ivoire un des pays de l’Afrique dont le taux annuel de déforestation est le plus élevé.

L'Union Européenne est numéro 2 sur le podium de la déforestation selon le WWF.

Elle est responsable de 16% de la déforestation de forêts tropicales liée au commerce international.

L'Europe avec le RDUE assume sa responsabilité et entend protéger les espaces boisés restants en minimisant les risques de voir des productions issues de la déforestation achetées sur son sol.

 

Règle européenne zéro déforestation importée
quels critères, quel impact ?

À partir de janvier 2025, le Règlement sur la Déforestation de l'Union Européenne (RDUE) entrera en vigueur et obligera les importateurs de cacao à apporter la preuve que leurs produits ne proviennent pas de parcelles déforestées après le 31 décembre 2020.

Pour entrer dans l'union Européenne, le cacao devra être : 

  1. Traçable de la parcelle au consommateur
    les parcelles doivent être identifiées à partir de point GPS ou de plusieurs points formant polygones. Il s’agit d’une traçabilité physique qui concerne les producteurs acheteurs et transformateurs. La traçabilité physique devra être respectée par les producteurs, les collecteurs de fèves sur le terrain, les transformateurs et les exportateurs.
  2. Zéro déforestation
    le cacao ne pourra pas provenir de terres déboisées après le 31 décembre 2020, c'est-à-dire de forêts converties en terres agricoles.
  3. Légal
    le cacao doit respecter la législation du pays où il est produit le droit d’usage des terres et le respect des forêts classées, le droit de l'environnement, les droits de l'homme, les droits des peuples autochtones, le travail, le commerce, les douanes & les taxes...

Le RDUE précise que les entreprises important, transformant et vendant du cacao doivent faire preuve d'une diligence raisonnable sous peine d'amendes, voire confiscations.

La diligence raisonnable des entreprises consiste à
⓵ recueillir des preuves de traçabilité, de zéro déforestation et de légalité
⓶ évaluer les risques de non-conformité
⓷ prendre des mesures, en cas de risques identifiés, pour les atténuer. 

Concrètement le règlement applicable au 1er janvier 2025 exigera de tout importateur en Union européenne soit en capacité de démontrer que le cacao ne provient pas de déforestation. Pour chaque container de cacao, il devra être en mesure de fournir une liste des producteurs qui ont contribué au lot de cacao, avec les coordonnées GPS de leurs parcelles. En cas de contrôle, on pourra vérifier à partir d’une carte satellite de référence qu’aucune parcelle ne correspond à une forêt primaire défrichée après 2020.

 

5 points soulevés par les producteurs

ligne verte
 

#1 Les producteurs saluent l'initiative positive de l'UE 

Pour César Paz de la coopérative NORANDONO au Pérou, le Règlement sur la déforestation importée est une initiative positive qui mérite d’être soutenue. Elle permettra probablement de préserver les forêts primaires encore sur pieds.  

Tous les producteurs présents sont convaincus de la nécessité de lutter contre la déforestation. César Paz le souligne : si l’arrêt de la déforestation est une évidence, il faut aussi développer les systèmes de cultures agro-forestiers du cacao car l'arbre a un rôle central en termes de la gestion de la fertilité des sols. Il précise que l'agro-foresterie est également un puit de carbone pour lutter contre le changement climatique. De nombreuses zones d’Amazonie péruvienne déforestées il y a longtemps pour y installer des pâturages ou d’autres cultures, sont aujourd’hui des terres dégradées. Elle pourraient être générées en y installant de l’agroforesterie.

Guito Gilot de la coopérative FECCANO relève qu’en Haïti, le cacao n’est pas signe de déforestation. Au contraire, le jardin arboré cacaoyer, typiquement créole constitué d’une diversité d’arbres fruitiers et forestiers, protège de l’érosion les sols en pente. L’enjeux en Haïti n’est pas tant d’éviter la déforestation, le pays n’ayant plus de forêt primaire, mais plutôt d’éviter le déboisement des terres cultivées et donc de sauvegarder les jardins créoles.

forêt cacao Côte d'Ivoire

Mission Côte d'Ivoire 2023 - De gauche à droite : forêt classée, parcelle déforestée (défriche-brûlis) pour mise en culture, parcelle de cacao agroforestier de la coopérative SCEB

 

#2 Oui, les producteurs sont responsables
Mais l'industrie aussi !

S'is sont les premiers acteurs de cette chaîne de responsabilité, les producteurs rappellent qu'ils ne sont pas les seuls responsables. 

Les prix très bas payés par l’industrie et les multinationales ont été les moteurs de la déforestation et nous ont amenés à cette situation. À l'origine : le cercle vicieux des prix non rémunérateurs. Ces prix bas poussent en effet les agriculteurs soit à ne plus entretenir leurs parcelles, soit à produire toujours davantage aux moindres coûts. Quand le rendement de la parcelle baisse, la seule option possible est de planter du cacao sur une nouvelle terre plus fertile, gagnée sur la forêt.

À l'inverse, la culture d'un cacao agro-forestier bio demande de la technicité, car c'est système plus complexe, nécessite plus de main-d’oeuvre, notamment pour la taille des cacaoyers et l'entretien des parcelles. Les producteurs doivent se former aux bonnes pratiques agro-écologiques. Tout cela nécessite des prix rémunérateurs stable dans le temps.

 

Cacao zéro déforestation importée
 

 

#3 Problème : les producteurs sont peu ou pas informés

Selon Maizan Kobena de la coopérative CAKF en Côte d’Ivoire, rares sont les organisations qui sont actuellement informées de l'existence du RDUE. Encore moins disposent d'éléments concrets sur son application et les obligations techniques qui en découlent pour les producteurs

Les producteurs individuels ou les producteurs membres de coopératives peu structurées n'ont pas la possibilité d'accéder à ce type d'informations. Sachant l'entrée en vigueur du RDUE fin 2024, Maizan Kobena salue le travail de transmission d'AVSF qui les accompagne. Il estime que les coopératives les plus structurés et/ou qui bénéficient de l'appui du commerce équitable sont également avantagées. Il s'inquiète de l'avenir pour les autres : que feront-ils de leurs récoltes ?

Plus encore, selon nos sources de terrain, actuellement, 30% du cacao ivoirien provient de forêts classées. Ces 700 000 tonnes de fèves, l'équivalent de la production annuelle du Ghana, ne respectent pas la clause de légalité et ne sont donc en tout état de cause pas éligibles au RDUE et ne pourront être exportés vers l’Union européenne. Or, aujourd’hui 70% du cacao de Côte d’Ivoire est exporté vers l’Europe. Si un tiers de la production nationale n’est plus exportable vers l’UE, l’offre sera extrêmement restreinte et cela provoquera probablement une hausse des cours du cacao.

Cacao zéro déforestation les producteurs alertent

# 4 Question : qui va payer ?

Les producteurs le rappellent : ils sont le premier maillon de la traçabilité et la principale source d’informations concernant la description, l’origine, la quantité, la période de production du cacao, le respect des droits environnementaux, de l’homme, juridique, etc. La diligence raisonnée des entreprises engendre de nouvelles obligations pour les coopératives de cacaoculteurs. 

C'est dans ce sens qu'Awa Traoré émet de fortes réserves. De son point de vue, plutôt partagé unanimement, le RDUE pose plusieurs problèmes.

D’abord, l’obligation de géoréférencement des parcelles et la traçabilité exigée suppose une technicité et des investissements. La mise en conformité génère des coûts additionnels pour les coopératives car elle requiert des ressources importantes : des salariés formés, des équipements de récupération des données GPS, des temps-homme pour faire les relevés, voire une externalisation à un tiers si les compétences techniques ne sont pas disponibles au sein de la coopérative.

« notre coopérative regroupe 100 000 cultivateurs de cacao qui ont chacun en moyenne deux parcelles de 2,2 hectares chacune. Pour nous mettre en conformité, il faut relever les points GPS de chaque parcelle, analyser le risque de déforestation et mettre en place des mesures correctives. Cela représente énormément de travail. Actuellement, 60 % des points GPS des parcelles et 30 % des polygones ont été relevés mais il nous reste peu de temps. Cela demande des ressources et il faut acquérir les logiciels et les terminaux GPS. » 
Salomon Boateng, directeur de la coopérative Kuapa Kokoo, au Ghana

Ensuite, qui va prendre en charge ces investissements ou coûts supplémentaires ? Producteur, importateur, transformateur ? La réglementation ne le stipule pas.

En Côte d’Ivoire, les entreprises multinationales auraient déjà mis en place le relevé des parcelles de 70% des producteurs de cacao ivoiriens. Le plus souvent les bases de données des coopératives ont été financées par ces géants du secteur. Les organisations de producteurs se retrouvent donc dans une situation de dépendance car elles ne sont pas véritablement propriétaires des données. L’enjeux pour les coopératives est donc de construire leur propre données et système d’information géographique.

Edem Komlan, responsable AVSF en Côte d'Ivoire, témoignent que les coopératives avec la double certification Agriculture Biologique et Commerce Équitable sont en bonne position pour répondre aux exigences du RDUE puisqu’elles pratiquent et maîtrisent la question de la traçabilité des parcelles à la coopérative.

Christophe Eberhart d'Ethiquable précise qu'effectivement, pour les coopératives partenaires de la Scop, l'exigence du RDUE sur la traçabilité n'est pas un frein, car elle est pratiquée depuis longtemps par les producteurs bio. La certification Agriculture Biologique exigence une en effet une traçabilité physique totale depuis les parcelles, avec l'identification des lots à toutes les étapes (recensement des parcelles et des pratiques culturales, ségragation des lots des transports et stockages,...) et des systèmes d'audits et de contôles d'un tiers certificateur. Le géoréférencement est actuellement réalisée à 75%, donc en bonne voie pour l'entrée en vigueur fin 2024.
 

cacao ethiquable zéro déforestation


 

#5 Le prix du cacao : l'angle mort du rdue

Les producteurs regrettent que l’UE formule une exigence de non-déforestation mais sans proposer de solution pour assurer un prix minimum au producteur.

« Un prix minimum indispensable est pour mettre en place et maintenir des systèmes agroforestiers ne poussant pas à la déforestation. »

Malgré l’augmentation actuelle des prix du cacao sur le marché international, le prix payé aux producteurs reste souvent bien trop bas, entraînant une pauvreté des producteurs, et ce, dans un contexte de changement climatique. Il faut dire qu'en 40 ans, les prix du cacao ont perdu 50% de leur valeur en euros constants. Dans le même temps, les prix des produits chocolatés en France ont été multiplié par 8. En Côte d’Ivoire, 50% des producteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Les productrices et les producteurs ont partagé l'indispensable nécessité de prix stables et rémunérateurs pour accompagner le processus de maintien et de régénération des forêts. Les variations erratiques des cours mondiaux n'agisssent pas en faveur de la transition du marché du cacao vers la déforestation zéro.

« Cette réglementation doit concilier aussi le bien-être des producteurs. A quoi ça sert de sauver la planète et de sacrifier des êtres humains. Car c’est de ça qu’il s’agit : ici, on ne parle plus de vie mais de survie. J’en appelle à la conscience de tout le monde. »

Awa Traoré, coopérative CAYAT en Côte d'Ivoire

 

Vous pouvez retrouver l'intégralité de ces échanges sur notre chaîne youtube

Conference loi européenne zéro déforestation importée

 

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